Emmanuelle Bayamack-Tam
Je viens
« Je viens » est un roman comique. Il mouline les sujets qui fâchent, le racisme qui a la vie dure, la vieillesse qui est un naufrage, et les familles que l’on hait. Il illustre une fois de plus les lois ineptes de l’existence et leurs multiples variantes : l’amour n’est pas aimé, le bon sens est la chose du monde la moins partagée, les adultes sont plus immatures que les enfants, les riches se reproduisent entre eux et prospèrent sur le dos des pauvres, etc. Il vérifie aussi la grande leçon baudelairienne, à savoir que le monde ne marche que sur le malentendu. Charonne, personnage récurrent des romans d’Emmanuelle Bayamack-Tam et narratrice de la première partie est précisément celle qui vient chambouler cet ordre des choses, qui est aussi un crime contre l’humanité. Abandonnée deux fois (par ses parents biologiques puis par ses parents adoptifs), grosse, noire (ou perçue comme telle), Charonne est mal partie dans la vie mais elle va imposer sa vitalité irrépressible et la force agissante de son amour, quand bien même cet amour n’est ni reconnu ni apprécié (cf. les lois ineptes de l’existence). Mais pour accablante qu’elle soit, la réalité devrait pouvoir s’écrire sans acrimonie, dans une langue qui serait celle de la farce ou du vaudeville, avec lequel cette histoire a beaucoup à voir. « Je viens » est un roman fétichiste, investi par les objets, ceux que l’on achète, collectionne, inventorie, transmet. Ce livre est une maison, Bleak House dickensienne dans laquelle chaque narratrice (elles sont trois) s’aménage une chambre à soi. Certains éléments décoratifs ont été chinés virtuellement (l’ottomane, les papiers peints vintage…), d’autres encore appartiennent à l’espace du dedans, souvenirs fabriqués, malentendus et haines tenaces, tout aussi concrets que les autres.