
Invention et subversion des identités visuelles en Afrique
La modernité africaine est le résultat de combinaisons originales comportant une dimension figurative ; occultée par les formes ostensibles de domination, une sourde guerre des signes y est toujours active. Ces affrontements symboliques se manifestent dans la scène de la modernité comme mode de fabrication du lien social ordinaire. La construction concurrentielle de cet espace public commence dès les premiers moments d’incorporation des Africains dans les imaginaires européens; les campagnes militaires furent l’occasion d’une concrétisation de cette imagination bientôt colonisatrice.
L’espace photographique s’invite dans ce procès silencieux d’invention et/ou de subversion des identités et participe à la scansion de l’évolution sociale. Les photographies sont étudiées ici dans le but non pas de montrer des postures exotiques d’indigènes, malhabiles et innocents, qui fondent une certaine esthétique primitiviste, mais de favoriser une distanciation qui permet l’observation des dynamiques internes des sociétés africaines contemporaines. Cette démarche n’est pas sans poser d’importants problèmes épistémologiques qui questionnent la fonction heuristique des images, des imaginations et des imaginaires. Par le truchement des images, cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau les distinctions, les frictions et les stratégies d’une modernité africaine objet de tant de mésinterprétations.
Kalidou Kassé, surnommé le pinceau du sahel, est l’artiste peintre sénégalais d’origine peuhle qui évoque l’univers paisible et romantique du quotidien des sociétés africaines du Sahel. Formé à la Manufacture Sénégalaise des arts décoratifs de Thiès, Kassé se démarque de « l’École de Dakar », initiée par le poète-président Léopold Senghor, sous l’influence de l’art abstrait occidental. Son style unique aux personnages filiformes et aux couleurs vives et chatoyantes décrit un monde poétique et enchanteur peint avec un souci constant pour les formes, les détails et les couleurs. D’un point de vue historique, il est celui (à travers sa vie et son œuvre) qui a subtilement su marier et harmoniser l’art pictural occidental avec l’esthétique africaine qu’il a hérité de sa famille de tisserands. En refusant la représentation imposée par l’art occidental, il réaffirme ses formes propres et uniques, une authenticité qui annonce l’art d’un monde naissant qui n’abandonne pas son passé.
Le travail d’analyse sociale nous pose toujours la question de la transcription des données et des résultats obtenus. Les modèles canoniques privilégient l’usage de l’écriture orthographique et relèguent souvent les formes d’écritures iconographiques dans la perception sensible, l’allusif et le flou symbolique, à l’extrême opposé de la rigueur démonstrative et argumentative de l’écriture. Dans le processus de production et de diffusion des connaissances en sciences sociales, le moment de l’enquête, en particulier, est une situation de transcription idéale pour examiner le passage d’un ordre de fait à un autre, et pour retracer sa fonction dans le projet scientifique. Cet ouvrage interroge les modalités d’implication de l’image dans la fabrication, la transformation et la présentation des données issues de l’enquête de terrain.