
Comment la France a perdu l’Afrique
La crise en Côte d’Ivoire est à la présence française en Afrique ce que la prise de la Bastille fut à l’Ancien Régime : le symbole de la fin, insensiblement d’abord, puis à un rythme qui est allé s’accélérant pour culminer en cette funeste nuit de novembre 2004, quand l’armée française ouvrit le feu sur une foule de « patriotes » à Abidjan, la France a perdu « son » Afrique, celle où, de Dakar à Libreville en passant par Djibouti, N’Djamena, Brazzaville et Antananarivo, elle aimait à penser qu’elle était aimée.
À présent la France rapatrie ses ressortissants sous les huées, sinon sous les balles. Ailleurs, elle est déjà partie en catimini, à la fin de la guerre froide, quand l’Afrique a été abandonnée à son sort : effondrement de l’Etat, guerres, sida… L’aide a été amputée, les coopérants ont été retirés. Seule l’armée française est restée enfermée dans ses bases, garde prétorienne de régimes indéfendables. Après avoir été pendant plus de quarante ans le « gendarme de l’Afrique », la France s’est recyclée en « gardien de la paix ». De plus en plus souvent, les Etats-Unis et la Chine dament le pion à une « vieille » France gênée aux entournures par le génocide au Rwanda, le sandale Elf, les turpitudes de la « Françafrique »… Il est loin le temps où la « mission civilisatrice » sur le continent noir était une affaire entendue, l’un des rares sujets d’accord entre droite et gauche. À l’heure du divorce, l’ancienne puissance coloniale se triouve dans une situation intenable : qu’elle intervienne, comme en Côte d’Ivoire, et on dénonce son « ingérence ». Qu’elle s’abstienne, et on lui reproche son « indifférence ».
Dans ce livre sans concessions, remarquablement documenté et étayé d’innombrables exemples et témoignages, Stephen Smith et Antoine Glaser pointent les erreurs, les lâchetés et les ambiguïtés qui ont émaillé la politique africaine de la France, et lui on fait perdre ce « pré carré » qu’elle rêvait de façonner à son image.
L’Europe vieillit et se dépeuple.L’Afrique déborde de jeunes et de vie.Une migration de masse va se produire.Son ampleur et ses conditions constituent l’un des grands défis du XXème siècle.
L’Union Européenne compte aujourd’hui 510 millions d’habitants vieillissants ; l’Afrique 1’25 milliard, dont 40 pour cent ont moins de 15 an. En 2050,450 millions d’Européens feront face à 2’5 milliards d’Africains. D’ici à 2100, 3 personnes venant au monde naîtront au sud du Sahara.
L’égoïsme nationaliste et l’angélisme humaniste sont uniment dangereux. Guidé par la rationalité des faits, cet essai de géographie humaine assume la nécessité d’arbitrer intérêts et idéaux
Cinquante ans après les indépendances, que reste-t-il de la France en Afrique subsaharienne ? Plus précisément, qu’ont fait les Africains, depuis qu’ils sont libres de choisir, de ce que l’ancien colonisateur leur a apporté, du Code Napoléon à la baguette en passant par la langue française? Comment se situent-ils par rapport à la Françafrique, la queue de comète affairiste de « l’Etat franco-africain » bâti en 1960 sur les restes de l’Empire? Fort de l’idée que les « postcolonies » au sud du Sahara ont pris leur destin en main, et qu’elles sont désormais un Nouveau Monde pour la France en raison de l’héritage colonial en partage, Stephen Smith va à la rencontre d’Africains ordinaires et extraordinaires, de la Côte d’Ivoire à la Guinée, au Sénégal et au Mali, puis du Cameroun au Gabon en passant par le Congo, pour « voir, comprendre, se faire surprendre »… et pour nous affranchir enfin de ce que Flaubert écrivait du temps de l’Empire, et qui continue d’obérer le rapport de la France au continent noir, c’est-à-dire aussi à elle-même: « Colonies (nos): s’affliger quand on en parle ». Portraits et paysages (urbains), discussions à bâtons rompus ou entretiens (avec le président ivoirien Gbagbo ou avec Baba Kourouma, un disciple de Robert Debré et intime de Sékou Touré), vie quotidienne et scènes kafkaïennes (dans l’antichambre du chef de l’Etat guinéen, le capitaine Camara, ou à un poste-frontière gabonais), expéditions délirantes dans le Congo-Océan bondé ou en moto-taxi dans la jungle, initiation au nouchi , le « français ivoirien » où chaque mot est un faux ami : s’il rapporte une expérience, le livre, surtout, nous emporte. Sur le modèle de Naipaul, Stephen Smith nous donne un récit de voyage extrêmement vif, plein d’humour et de détails savoureux, passionnant à tous égards. De l’Histoire et des histoires. Un retour sur le passé de l’Afrique anciennement française, une réflexion sur le présent et l’avenir des générations nouvelles. Un autre regard.
L’Afrique sans africains
J’aime l’Afrique… Pendant plusieurs générations, en France, ce fut un credo banal : on aimait ce continent attachant, certes sauvage, mais peuplé de gens aimables. C’en est fini de ces ritournelles. Une époque est révolue. Désormais, l’Afrique est présentée comme un continent en perdition, naufragé et inquiétant, rimant avec danger, chaos, famine, massacres et sida. L’Afrique serait une autre planète, un endroit où il ne faudrait plus se rendre, à moins d’être un humanitaire, avatar post-moderne du clerc, ou un militaire, ordonnateur de la nouvelle pacification. L’Afrique, ça se soigne, ça se sécurise. Ça ne se vit plus. Mais, entre l’amour d’hier et le désamour d’aujourd’hui, la contradiction n’est qu’apparente. Le continent noir reste investi par le rêve blanc : la projection narcissique d’un ego supérieur et le déni de la réalité, non parce qu’elle serait impénétrable ou incompréhensible, mais parce qu’elle est africaine et, en tant que telle, irrecevable. Cette Afrique abandonnée, ce continent délaissé, parti à la dérive, est en fait l’Afrique des Africains. Dieu n’est plus blanc. C’est tout. Enfin. On aura compris qu’à l’inverse, cet essai, riche d’exemples concrets, d’informations inédites et d’expériences vécues, cherche délibérément les contours de l’Afrique des Africains, ce continent noir qu’il nous reste à explorer.
Paru en 1992, Ces messieurs Afrique s’est imposé comme l’enquête de référence sur les relations franco-africaines. Mais, depuis sa parution, un changement majeur s’est produit sur ce continent : la privatisation des réseaux d’influence, qui accompagne le lent retrait de la France. Pour être efficaces, ces réseaux logés au coeur de l’Etat, longtemps la trame de la politique française en Afrique, doivent aujourd’hui se transformer en lobbies, c’est-à-dire en groupes de pression autonomes, à but lucratif et n’agitant plus le drapeau national qu’en fonction de leurs intérêts. C’est ce phénomène que décrit ce nouveau livre, nourri par des années d’enquête, rempli de témoignages inédits et de documents confidentiels. A l’heure où l’ancien Paris-Village du continent noir se meurt, une radioscopie très informée de ces hommes qui font désormais les affaires de la France en Afrique : Le réseau Foccart ; les généraux ; Elf-Africaine ; les patrons ; les consultants ; les franc-maçons ; les Corses ; le Vatican.
Sarko en Afrique
Premier président français sans gris-gris sur son bureau, Nicolas Sarkozy s’est prononcé pour une politique de rupture avec les complicités du passé dans l’ancien pré carré, pour s’ouvrir à l’ensemble du continent et être à l’écoute des jeunesses africaines. Las, le nouveau chef de l’Etat a, lui aussi, très vite plongé la tête dans la case à fétiches. Il est même revenu aux pratiques d’une diplomatie parallèle que l’on croyait révolue. Dans certains cas, les affaires africaines sont redevenues des affaires domestiques ». Une gestion personnalisée des dossiers qui contraste avec la Volonté affichée d’européaniser la politique africaine et de se désengager sur le plan militaire. Dans un premier temps, Nicolas Sarkozy s’est moins adressé aux Africains du continent qu’aux Français noirs des banlieues françaises, avec priorité à la lutte contre l’immigration. Ensuite, le président a géré personnellement, dans la précipitation et la cacophonie, l’épopée de l’Arche de Zoé, la guerre du Tchad et les dossiers judiciaires pendants tels que celui des biens immobiliers « mal acquis » des chefs d’Etat africains à Paris, tout en gardant un œil attentif sur les dossiers sensibles de la dizaine de groupes français dont les dirigeants sont souvent ses propres amis. En un an de présidence, Nicolas Sarkozy a dit une chose et son contraire, du discours très gaulois de Dakar à celui très africain du Cap.