Une nuit de 1798, le grand argentier de Saint-Jean-d’Acre trouble la paix d’un monastère savoyard. Son épouse s’est enfuie avec un seigneur ottoman, et il réclame à grands cris l’aide des trinitaires, réputés racheter aux Maures les captifs et les esclaves. Dès l’aube, le frère Lucas, jeune moine inexpérimenté, est hissé sur un âne et poussé dans la direction de l’Espagne où la fugitive, selon le grand argentier, aurait été aperçue en compagnie de son amant. Ainsi commence une aventure qui lui fait traverser une Europe secouée par l’insurrection et la révolte. A la poursuite du couple adultère, le moine Lucas franchit le détroit de Gibraltar et parvient à Alger, où il comprend que les trinitaires sont devenus de riches potentats, complices du commerce des esclaves. L’Eglise a bien changé… et lui aussi, qui découvre l’Islam, se dépouille de quelques illusions et perd son pucelage, puis s’éprend — sans oser se l’avouer — de la jeune femme qu’il est censé ramener dans le droit chemin. Vive et inspirée, l’écriture de V. Khoury-Ghata donne un élan irrésistible à ce petit roman picaresque où se dessinent déjà les clivages et les antagonismes du monde contemporain.
Le facteur des Abruzzes
Helena, qui guette le retour du violeur de sa fille avec un fusil depuis trente ans pour le tuer et lui faire payer la dette de sang, accueille la veuve du docteur avec des youyous. Les femmes de la vallée affluent de toute part, échevelées, en babouches, et demandent d’une même voix des nouvelles de leur sang. « Le medico l’a-t-il regardé de près ? qu’a-t-il vu de déplaisant ? laquelle d’entre elles vivra centenaire ? laquelle s’enrichira, et a-t-il toujours sa grosse seringue qui traverse le bras d’un côté à l’autre ? » Assimilent-elles le sang au marc de café ? Partie sur les traces de son mari biologiste mort dix ans plus tôt, Laure découvre Malaterra, un village perdu des Abruzzes. D’abord considérée comme une intruse, elle va peu à peu se faire adopter par la population composée de personnages drôles ou émouvants aux destins singuliers : Helena, qui a pendu sa fille déshonorée au figuier de son jardin ; le bouquiniste kosovar à qui personne ne parle dans sa boutique poussiéreuse ; Mourad, le boulanger qui propose à Laure de l’épouser ; Yussuf, le facteur qui fait sa tournée même s’il n’a pas de courrier à distribuer… La présence de Laure bouleverse le cours des choses : les langues se délient et des secrets refont surface…
Une maison au bord des larmes
Dans le Beyrouth des années 1950, une jeune fille grandit entre ses sœurs, sa mère et son frère, sous la férule d’un père violent. Rebelle et exalté, le frère écrit des vers qui lui valent la fureur du père, ses coups, ses brimades, sa haine. Bientôt chassé du toit familial, le gracieux jeune homme aux rêves immenses s’enfonce dans une déchéance qui le brisera, terrassant chez lui toute volonté, puis toute raison. Spectatrice impuissante de son martyre, la jeune fille, qui deviendra l’auteur de ce livre, y puisera la soif et l’énergie d’écrire. Ce très beau texte autobiographique est pétri d’une fidélité bouleversante à l’égard du frère adoré qui a transmis sa plume. Mais admiration et reconnaissance ne s’expriment pas sans une culpabilité douloureuse, que ce » roman » tente d’adoucir par un hommage déchirant au frère sacrifié.