Daniel Martinez
Carnets d’un intérimaire
Lorsque j’ai accepté cette mission, l’agence Bis m’avait dit qu’il ne s’agissait que d’un nettoyage de chantier. Au départ, il n’était aucunement question d’un quelconque transport de cloisons vitrées. Mais « les intérimaires peuvent tout supporter »… On nous fait transporter des portes ignifugées d’un gabarit assez impressionnant. Les vitriers utilisent des poignées avec de puissantes ventouses, que nous n’avons pas. Ils bénéficient d’un taux horaire de cinquante francs en qualité d’ouvriers qualifiés ; nous touchons le SMIC. Exténués, abrutis moralement et physiquement, nous débauchons à 18 heures. Je m’empresse de téléphoner à l’agence pour réclamer la prime de risque dont nous ont parlé les vitriers. Silence gêné. Réponses évasives. Le sous-traitant qui nous emploie n’a pas prévu cette mesure dans son budget. J’ai besoin de fric, j’ai besoin de bouffer. Je ne peux que fermer ma gueule. Combien ai-je côtoyé de copains d’infortune qui travaillaient sans chaussures adéquates ou harnais de sécurité alors que ceux-ci étaient obligatoires ? Combien en ai-je rencontré qui conduisaient un chariot élévateur sans permis de cariste ? À quoi sert l’Inspection du travail ?