Francesca Melandri
Tous, sauf moi
Par un tissage subtil, documenté et superbement écrit, Francesca Melandri rapproche l’Histoire Italienne de celle du patriarche Attilio Profeti. A 95 ans, Attilio se souvient d’une vieille promesse. Tous mourront, sauf lui… Et effectivement, même avec sa mémoire et sa raison en berne, il est là, porteur d’un passé foisonnant. Bigame, trigame, intelligent, attachant, mais aussi fasciste et raciste patenté, cet homme hors norme a traversé le 20è siècle avec nonchalance et intelligence. Librement inspiré de son propre père (qui n’était pas fasciste dans les années 30 en Italie?), l’auteure réveille un passé totalement enfoui, bien que très documenté historiquement. Il était une fois l’Abyssinie, une terre éloignée, que le Duce voulu dompter. Aujourd’hui Éthiopie, cette terre se souvient encore des exactions terribles qui ont décimé une grande partie de sa population. Mais quand le racisme se fonde sur des mesures anthropomorphiques et scientifiques, est-il nécessaire de parler de population ? Ces sauvages ne sont pas tout à ait hommes, surtout les mâles. L’histoire montrera que les femelles ont eu un sort particulier. Ainsi, Ilaria, enseignante engagée dans des combats humanistes, voit-elle un jour débarqué sur son palier Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti, qui dit être son neveu. Patiemment, intégrant courageusement les découvertes nauséabondes qui auréolent son père, elle va détricoter tous les fils qui remontent à ce passé colonial. La situation des réfugiés à Lampedusa en sera le triste pendant. Un livre fort, courageux, intelligent et humain. Accompagner Ilaria est une tâche difficile, parfois à la limite du supportable, qu’il est important de mener à son terme. Pour, face à tous ces visages échoués sur nos plages européennes, ne jamais pouvoir dire : « je ne savais pas. »