Jean d'Ormesson
Une fête en larmes
Je ne crois pas beaucoup, vous le savez, à tout ce qui agite les hommes. Je pense que les trois quarts de nos paroles sont tout à fait inutiles. -Et si, en remplacement de toutes ces choses inutiles et trop longues que nous aurions pu nous épargner, vous deviez me murmurer, comme Baba l’Eveillé au commandeur des croyants, quelques mots à l’oreille, lesquels choisiriez-vous ? Je la regardai une dernière fois à la lueur de la lampe. Le spectacle n’était pas déplaisant. Elle souriait, immobile, ses longues jambes croisées, dans une attitude un peu théâtrale et merveilleusement naturelle. Elle était jeune et charmante. – Je vous dirais que l’être est. Et il n’y aurait rien à ajouter. Si j’étais très bavard, j’ajouterais que nous mourrons tous. Et je pourrais vous dire aussi, mais ce serait déjà trop long, que la vie est un rêve sombre et tragique – et qu’elle est très belle et très gaie. – Une fête en larmes ? dit Clara. – Une fête en larmes, lui dis-je. – Rien d’autre ? demanda-t-elle à la façon du sultan. -Non, rien d’autre, lui répondis-je à la façon de Baba, ô sublime harmonie, ô lumière de ma journée. Tout l’essentiel est là.