Antoine Sylvère
Le légionnaire Flutsch
Je pense que ma vie n’aura pas pris fin parce qu’on m’aura mis en terre. Ce maigre capital qu’aura été Toinou pourra disparaître en principal, mais ce n’est pas là l’important …
Il y a chez l’être humain une double possibilité d’être une riche valeur humaine, la première par sa simple capacité de conservation et de transmission, l’autre par sa propre activité humaine. On ne peut nullement préjuger de la première qui est noyée dans un inconnaissable avenir et qui, à ce titre, peut être si importante qu’elle peut dépasser tout ce qui est réalisable en nous.
Après Toinou, j’ai été un garçon grand et fort, mal à son aise dans un monde plein de contradictions. J’ai été légionnaire farouche et rêveur, foulant le bled en supputant une mort glorieuse dans un baroud, parmi des compagnons francs du collier, à la main leste et aux yeux durs. Puis, dans les villes, je suis devenu un ouvrier solitaire et studieux, pauvre d’aliments et encombré de livres. Mais dans les villes, l’espace et la vie s’étaient partagés avant ma venue.
J’ai vécu, laissant bon nombre de camarades derrière moi. J’ai vécu le coeur pleurant et les yeux secs. J’ai vieilli avec mes morts.
Le destin m’a éloigné du Pont des Feignants. J’y suis revenu maintes fois en rêve.
La vieille maison de mon enfance est morte d’abandon et ses pans dégradés ont cessé de porter le toit centenaire. Dans un coin, vers la partie basse, sous les tuiles brisées, pourrissent les derniers vestiges du berceau de hêtre de Toinou.