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Jean François Deniau
L’Atlantique est mon désert
Je sors de l’hôpital à la fin de l’été 1995 dans une chaise roulante, avec des cannes anglaises pour marcher, une minerve pour éviter les chocs dans le haut de la colonne vertébrale, le souffle très court, le cœur hésitant à régler et les pansements des cicatrices qui suintent encore à changer tous les deux jours. Je devrais, après un triple pontage, passer trois semaines dans un institut spécialisé, aller régulièrement aux Invalides où existe le meilleur service de rééducation. Patiemment réapprendre, une fois de plus, à respirer et à me servir de mes jambes.
Il y a peut-être encore mieux pour la convalescence. L’air du large. La responsabilité de la barre. La liberté. L’océan.
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Parvenu à l'heure des bilans, le narrateur, directeur d'hôpital, se souvient que, trente ans auparavant, on avait exhibé devant les étudiants, dans un amphithéâtre déjà vétuste, aujourd'hui disparu, sa mère, presque mourante, un écriteau sur la poitrine. Et d'autres souvenirs reviennent qui font affleurer quelques figures d'Argentins : Gabriel, le kinésithérapeute aveugle, Nicolas, le frère, et même Eva Perón, haranguant du haut d'un tracteur une foule de miséreux. Mais très vite, sur la scène de la mémoire, c'est l'extravagant M. Moralès qui s'impose. Ancien grand couturier, tour à tour avide d'absolu et succombant à l'abjection, il entraîne dans son sillage un cortège d'excentriques. Seul le souvenir de la mère, une femme aux yeux gris, pénétrée de la sagesse des humbles, revient apaiser le tumulte de la mémoire. Et les ombres, enfin, peuvent se dissiper.