L’ancien calendrier d’un amour
« Qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance. » (Baudelaire). Tel serait l’esprit de cette saga lapidaire un siècle de fureur et de sang que va traverser Valdas Bataeff en affrontant, tout jeune, les événements tragiques de son époque. Au plus fort de la tempête, il parvient à s’arracher à la cruauté du monde : un amour clandestin dans une parenthèse enchantée, entre l’ancien calendrier de la Russie impériale et la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l’avenir radieux ». Chef-d’œuvre de concision, ce roman sur la trahison, le sacrifice et la rédemption nous fait revivre, à hauteur d’homme, les drames de la grande Histoire : révolutions, conflits mondiaux, déchirements de l’après-guerre. Pourtant, une trame secrète, au-delà des atroces comédies humaines, nous libère de leur emprise et rend infinie la fragile brièveté d’un amour blessé.
Le pays du lieutenant Schreiber
Je n’aurais jamais imaginé un destin aussi ouvert sur le sens de la vie. Une existence où se sont incarnés le courage et l’instinct de la mort, l’intense volupté d’être et la douleur, la révolte et le détachement. J’ai découvert un homme qui avait vécu à l’encontre de la haine, aimé au milieu de la pire sauvagerie des guerres, un soldat qui avait su pardonner mais n’avait rien oublié. Son combat rendait leur vraie densité aux mots qu’on n’osait plus prononcer : héroïsme, sacrifice, honneur, patrie… J’ai appris aussi à quel point, dans le monde d’aujourd’hui, cette voix française pouvait être censurée, étouffée. Ce livre n’a d’autre but que d’aider la parole du lieutenant Schreiber à vaincre l’oubli.
Le testament français
Je me souvenais qu’un jour, dans une plaisanterie sans gaîté, Charlotte m’avait dit qu’après tous ses voyages à travers l’immense Russie, venir à pied jusqu’en France n’aurait pour elle rien d’impossible […]. Au début, pendant de longs mois de misère et d’errances, mon rêve fou ressemblerait de près à cette bravade. J’imaginerais une femme vêtue de noir qui, aux toutes premières heures d’une matinée d’hiver sombre, entrerait dans une petite ville frontalière. […]. Elle pousserait la porte d’un café au coin d’une étroite place endormie, s’installerait près de la fenêtre, à côté d’un calorifère. La patronne lui apporterait une tasse de thé. Et en regardant, derrière la vitre, la face tranquille des maisons à colombages, la femme murmurerait tout bas : C’est la France… Je suis retournée en France. Après… après toute une vie.
Ce roman, superbement composé, a l’originalité de nous offrir de la France une vision mythique et lointaine, à travers les nombreux récits que Charlotte Lemonnier, «égarée dans l’immensité neigeuse de la Russie, raconte à son petit-fils et confident. Cette France, qu’explore à son tour le narrateur, apparaît comme un regard neuf et pénétrant sur le monde.
Le livre des brèves amours éternelles
Le destin de Dmitri Ress pourrait être mesuré en longues années de combats, de rêves et de souffrances. Ou bien à l’intensité de l’amour qu’il portait à une femme. Ou encore en blessures, d’âme et de corps, qu’il a reçues, happé par la violence de l’affrontement entre l’Occident et la Russie. Cette pesée du Bien et du Mal serait juste, s’il n’y avait pas, dans nos vies hâtives, des instants humbles et essentiels où surviennent les retrouvailles avec le sens, avec le courage d’aimer, avec la grisante intimité de l’être. Dans un style sobre et puissant, ce livre transcrit la mystérieuse symphonie de ces moments de grâce. Les héros de Makine les vivent dans la vérité des passions peu loquaces, au cœur même de l’Histoire et si loin des brutales clameurs de notre monde. Les scènes se succèdent au fil de la maturation sentimentale d’un jeune soviétique des années 1960-1970. D’un premier amour alors qu’il n’a que dix ans, il évolue jusqu’à ses 25 ans vers la méfiance des sentiments d’adolescent.
La musique d’une vie
Le premier concert du jeune pianiste Alexeï Berg est annoncé pour le 24 mai 1941. Fin du long purgatoire que sa famille a vécu durant les années de terreur. Promesse d’oubli, de célébrité future, de nouvelles rencontres parmi la jeunesse dorée de la capitale… Or, ce concert n’aura pas lieu. La vie d’Alexeï se jouera sur une partition différente, marquée par l’amour sans nom, par la familiarité avec la mort, par la découverte de la dignité des vaincus. Car ce « roman-destin » est d’abord un éloge de l’indomptable force de l’esprit, de la résistance intérieure. Et c’est aussi une histoire pleine d’un charme profond, qu’on lira et qu’on relira, un vrai joyau.
Le testament français
Charlotte, une femme d’origine française émigrée en Sibérie avec sa mère entre les deux guerres, raconte à son petit-fils Aliocha le Paris et la France de son enfance, où elle a grandi. Peu à peu, celui-ci s’imprègne de culture française à travers la langue et les récits de sa grand-mère. Cette France devient pour lui une véritable Atlantide, où par exemple au bistro Au ratafia de Neuilly ledit ratafia est servi dans des coquilles d’argent… Cette double sensibilité franco-russe, îlot d’altérité au-dedans de lui, lui pèsera (ses camarades russes perçoivent et sanctionnent cette différence) puis l’enrichira, l’élèvera et le poussera vers la France.
Ce roman d’un Russe francophone n’est pas seulement l’histoire de sa relation avec la France, mais aussi une vaste fresque tragique de la vie des populations à travers les immenses plaines de Sibérie sous l’ère soviétique. Famines, viols, conditions de vie extrêmes, misère, mais aussi chaleur des relations humaines, premières amours, joie et espérance s’entremêlent.