A défaut de génie
J’ai essayé d’avoir pour moi, à défaut d’admiration, une tolérance bougonne », déclare François Nourissier. On ne saurait être plus proche et plus intransigeant avec soi-même. La sentence peut paraître exagérée de la part de cet homme de lettres qui a obtenu ce que l’on peut espérer de mieux dans ce milieu : la gloire et la reconnaissance. Écrivain à succès depuis plus de trente ans, critique avisé, membre de l’Académie, à soixante ans passés, Nourissier n’aurait plus rien à attendre du monde des lettres. Il a déjà tout eu. C’est un des rares enfants chéris du milieu. Et pourtant, il n’a jamais autant écrit. Il bouillonne d’insatisfaction. Loin de la retranscription chronologique, de l’approche systémique ou du règlement de compte aigri. À défaut de génie est un modèle d’autobiographie en liberté. Comme pour Montaigne, l’exercice autobiographique n’a de sens pour Nourissier que si l’on devient soi-même « la matière de son livre. Il y parvient. –Denis Gombert
A défaut de génie
665 pages – « J’ai essayé d’avoir pour moi, à défaut d’admiration, une tolérance bougonne », déclare François Nourissier. On ne saurait être plus proche et plus intransigeant avec soi-même. La sentence peut paraître exagérée de la part de cet homme de lettres qui a obtenu ce que l’on peut espérer de mieux dans ce milieu : la gloire et la reconnaissance. Écrivain à succès depuis plus de trente ans, critique avisé, membre de l’Académie, à soixante ans passés, Nourissier n’aurait plus rien à attendre du monde des lettres. Il a déjà tout eu. C’est un des rares enfants chéris du milieu. Et pourtant, il n’a jamais autant écrit. Il bouillonne d’insatisfaction. Loin de la retranscription chronologique, de l’approche systémique ou du règlement de compte aigri. À défaut de génie est un modèle d’autobiographie en liberté. Comme pour Montaigne, l’exercice autobiographique n’a de sens pour Nourissier que si l’on devient soi-même « la matière de son livre ». Il y parvient.
En avant, calme et droit
Hector Vachaud, dit Vachaud d’Arcole, n’est pas un grand cavalier, un « dieu » de Saumur ni une vedette des concours hippiques. Il est seulement un « homme de cheval », on a envie de dire : un « prof de cheval », comme il y en a de maths ou de lettres. Mais sa discipline à lui, choisie par passion, sinon par peur des réalités, va le faire vivre, des années trente à nos jours, dans une société singulière, archaïque, mal connue, et dans les principes, superbes mais désuets, qui la corsètent et l’exaltent. C’est à travers elle que Vachaud découvrira la comédie sociale, l’élégance, l’amitié, le bonheur d’enseigner et même, sur le tard, l’amour. Un étrange amour. C’est à travers le prisme de la morale cavalière qu’il verra les passions politiques, la guerre, les illusions d’après la défaite, les courages et les lâchetés, enfin la métamorphose immense de la France.
Mais la perçoit-il vraiment, cette métamorphose ? Ou ne préfère-t-il pas l’ignorer ? En d’autres temps, sans doute, Vachaud fût-il devenu prêtre ou officier. Il eût choisi – séminaire, collège ou caserne – de vouer sa vie à un ordre qui se serait fait gloire de maintenir au milieu du déferlement de tout ce qui change ou s’affadit. Cela a-t-il encore un sens ?… Ecuyers, cavaliers, ascèse et luxe, parfums du passé, amazones gourmandes de chair fraîche, anciens combattants abusifs, abbés musclés, manitous de Vichy, juifs traqués, gagne-petit du marché noir, pétarades de 44 et de 68, jeunes filles en fleur : une peinture moqueuse et féroce d’un demi-siècle de vie française sert de décor à la vie d’Hector Vachaud. Les « belles âmes » n’y sont pas toujours limpides ! Heureusement, les chevaux aux yeux fous, les aubes en forêt, le silence religieux des manèges servent d’antidote aux poisons et aux impostures de la nostalgie.
Un petit bourgeois
Biographie ou roman, l’essentiel (au moins à mon sens) est d’abord affaire de langage, et aujourd’hui qu’on méprise si fort la prose, ce qui s’appelle la prose, il me plaît qu’un de mes cadets, arrivant à maturité, aux lecteurs qui parcourent les livres sans les couper donne d’abord cette leçon de français contemporain, dont il n’y a point de chaire dans nos écoles. Il y a très longtemps qu’on n’a pas écrit ainsi, je veux dire avec cette jeune maîtrise de la phrase, qui fait penser qu’il en va de celle-ci comme des femmes, jamais si belles qu’en négligé.