Vie de ma voisine
Ça commence comme une nouvelle d’Alice Munro : lors de son déménagement, une romancière est abordée par sa voisine du dessus qui l’a reconnue, et l’invite chez elle pour parler de Charlotte Delbo.Ça continue comme un récit d’Isaac Babel. Car les parents de Jenny, la voisine née en 1925, étaient des Juifs polonais membres du Bund, immigrés en France un an avant sa naissance. Mais c’est un livre de Geneviève Brisac, un « roman vrai » en forme de traversée du siècle : la vie à Paris dans les années 1930, la Révolution trahie à Moscou, l’Occupation ? Jenny et son frère livrés à eux-mêmes après la rafle du Vel’ d’Hiv, la déportation des parents, la peur, la faim, les humiliations, et l’histoire d’une merveilleuse amitié. Le roman d’apprentissage d’une jeune institutrice douée d’une indomptable vitalité, que ni les deuils ni les tragédies ne parviendront à affaiblir. Ça se termine à Moscou en 1992, dans la salle du tribunal où Staline fit condamner à mort les chefs de la révolution d’Octobre, par la rencontre improbable mais réelle entre des « zeks » rescapés du Goulag et une délégation de survivants des camps nazis. À l’écoute de Jenny, Geneviève Brisac rend justice aux héros de notre temps, à celles et ceux qui, dans l’ombre, ont su garder vivant le goût de la fraternité et de l’utopie.
Monelle et les baby-sitters
Ce matin-là, au petit déjeuner, maman a courageusement levé les yeux de son bol de thé pour annoncer la grande nouvelle : – Les enfants, je suis embauchée. Monelle et Humphrey ont tout de suite senti que cette nouvelle n’était pas bonne pour eux, et qu’ils n’avaient aucun intérêt à échanger une maman à la maison contre une maman qui travaille. Monelle, qui est l’aînée, a calmement expliqué aux parents ce qui allait se passer : on travaillera mal parce que personne ne s’occupera de nos devoirs, et on se lavera jamais et on aura des poux. Mais maman a déjà tout prévu, et papa est toujours d’accord, du moment qu’on le laisse tranquille. Alors le défilé des baby-sitters commence. Maman porte son choix sur Mme Turpin, une veuve qui a une voix de Donald, des jambes d’oiseau poilues, une barbiche et, surtout, beaucoup de principes très sains et très stricts. Maman la trouve sécurisante. Humphrey se débrouille pour s’en faire une copine. Monelle est la seule à s’être rendu compte qu’un monstre vient d’entrer dans la maison.