Couper cabèche
Quand je débarquai à l’aéroport international Mohamadou do Santo de Massomba, je ne doutais pas du succès de ma mission. N’en déplaise aux services spéciaux de Mozart, je ne ferais qu’une bouchée du Likembé, ce petit pays pétrolier rongé par la corruption, le népotisme et les conflits ethniques. J’allais réveiller tout un peuple endormi par les mensonges de ses dirigeants et livré pieds et poings liés à la convoitise des multinationales. J’avais un atout maître dans la manche : l’amitié de Macias Lebango, le grand écrivain likembais, unanimement respecté pour son talent et sa probité. Grâce à nous, on allait voir ce qu’on allait voir, des têtes allaient tomber. Des têtes sont tombées, en effet mais à l’heure où je vous parle, je ne suis pas sûr que la mienne soit encore bien solidement attachée à mes épaules. Il me semble qu’elle flotte, ma tête, entre cauchemar et réalité, dans la touffeur d’une ville dévastée par d’improbables milices aux noms des piranhas et de gremlins et bercée chaque nuit par le chant des grenouilles jaunes. D’ailleurs, « likembé » n’est pas un nom de pays, mais celui d’un instrument de musique, au demeurant peu adapté à l’interprétation de Mozart.