La pyramide
Le jeune pharaon Chéops déclare à sa cour qu’il n’entend pas se faire construire de pyramide. Effrayés par cette rupture avec la tradition, grand prêtre et courtisans consultent les papyrus et découvrent l’origine de la construction des pyramides: rien à voir, au départ, avec la mort et le tombeau des monarques, mais un état de crise du royaume. Une crise bien particulière, liée au bien-être et à l’abondance, sources de liberté et d’esprit critique, donc menace pour l’absolutisme de l’Etat. Diagnostic du magicien-astrologue: il faut éliminer le bien-être, donc consumer l’énergie et la richesse du pays en quelque chose de grandiosement inutile. Convaincu, Chéops décide que sa pyramide sera construite et surpassera toutes les autres par sa démesure et par les moyens matériels et humains mis en oeuvre pour l’édifier…Telle nous apparaît encore aujourd’hui la pyramide au milieu du désert: le plus haut tas de pierres au monde, apparemment sans vie. Il recèle pourtant une formidable énigme. Non pas celle de ses fausses portes, accès dérobés, galeries sans issue, chambres mortuaires. Mais un secret impossible à élucider sans scruter tout à la fois notre actualité à peine refroidie et un passé archimillénaire. À partir de l’expérience totalitaire propre à notre époque comme aux âges les plus reculés de l’humanité, Ismail Kadaré montre qu’on peut jeter quelque lumière sur les mystères entourant la pyramide. Un tombeau, mais de qui : du souverain ou de son peuple ? une métaphore de toutes les utopies meurtrières ? un miroir dans lequel toutes les nations vont pouvoir lire leur décrépitude, leur mort lente? une sorte de créature mythique se reproduisant de siècle en siècle sous des formes tantôt visibles, tantôt occultes? un monstre capable d’enfanter encore à l’âge de quatre mille ans et, comme les pyramides de têtes de Tamerlan, de se couvrir de barbe et de cheveux ? On retrouve la chronique de ces hantises et de ces avatars dans ce nouveau roman du grand écrivain albanais, rédigé pour moitié à Tirana, pour moitié à Paris. Un roman bâti au rythme de la construction qu’il décrit : acheminement des pierres, empilement des gradins, accroissement de la hauteur, vertige, pesanteur des blocs, pression de l’Etat…La vraie clé de l’énigme enfouie dans la pyramide ne résiderait-elle pas au bout du compte dans la fausse image qu’elle n’a cessé de donner à contempler de l’extérieur ?
Le dîner de trop
Gjirokastër – la « ville de pierre » au sud de l’Albanie – voit déferler les troupes allemandes qui remontent de la Grèce envahie. À leur tête, un colonel nazi qui a fait ses études en Allemagne avec un dignitaire de la ville, le docteur Gurameto. Le colonel von Schwabe retrouve avec effusion son ex-condisciple qui l’invite à dîner. Or, des maquisards ouvrent le feu sur l’avant-garde des blindés allemands . En représailles, les nazis raflent des otages parmi les habitants de la cité. Le docteur Gurameto se sent contraint durant le souper avec l’état-major allemand de convaincre le colonel de les libérer – y compris un pharmacien juif- sous peine de passer pour traître aux yeux de la population. Il obtient gain de cause. Une fois la guerre terminée et le communisme instauré, cette affaire revient sur le tapis. Au moment où dans tout le bloc communiste la paranoïa stalinienne atteint des sommets, la libération du pharmacien juif par le colonel nazi désigne Gjirokastër comme un noyau du grand complot planétaire visant à décapiter les pays socialistes… Quelle est la clé de l’énigme du fameux dîner ? Et si l’invité du docteur Gurameto n’avait été autre qu’un mort ?