Le voyage âmes
Coupant en deux la vie du narrateur, il y a, obsédante dans sa mémoire, l’étrave du grand navire qui, à sept ans, l’arracha de la Kabylie de son enfance. Devant lui, une rive étrangère, un père inconnu, une vie de dortoirs sordides, d’humiliations, de froid et de détresse, à peine éclairée par la patiente attention d’une institutrice qui lui fait don des mots. Alors, pour survivre, il faut tout oublier d’avant. Oublier la tante Fatiha qui l’emmenait au hammam, et le trouble que levaient en lui les lourds et voluptueux corps de femmes. Oublier Leïla, la petite fille aux yeux verts dont il était si amoureux, et le berger Azzedine qui charmait les scorpions à l’harmonica. Et surtout, oublier sa grand-mère Houria, Houria la conteuse, la magicienne qui, misérable et sereine, disait haut et clair ce que sont le Bien et le Mal. Mais on ne guérit pas de son enfance. Cette maladie-là, qui hante les fièvres, ne se fuit pas sur une mobylette volée, ou dans l’exaltation rageuse de petits ou grands larcins. Seul le grand deuil des bonheurs perdus permet – peut-être – de devenir un homme.